La voie de fait est une notion de droit administratif, caractérisée par une atteinte grave et manifeste aux droits des particuliers commise par l’administration, en dehors de ses prérogatives légales. Elle constitue une exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, en permettant au juge judiciaire d’intervenir pour protéger les libertés fondamentales.
Définition
La voie de fait désigne une action ou une décision de l’administration qui porte atteinte, de manière grave et illégale, à une liberté fondamentale ou au droit de propriété. Elle résulte de l’accomplissement par l’administration d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à ses pouvoirs ou de l’exécution irrégulière d’une décision administrative.
Fondements juridiques
La notion de voie de fait repose principalement sur deux critères définis par la jurisprudence :
Un critère matériel. L’acte ou l’exécution porte atteinte à une liberté fondamentale ou au droit de propriété.
Un Critère d’illégalité manifeste. L’acte est soit manifestement illégal, soit dépourvu de tout lien avec une compétence reconnue à l’administration.
Les éléments constitutifs
Une atteinte grave aux droits fondamentaux
La voie de fait suppose une atteinte grave à l’un des droits suivants :
Libertés fondamentales : Par exemple, la liberté d’aller et venir, le droit à la vie privée ou le droit à l’expression.
Droit de propriété : Notamment en cas de spoliation, de destruction ou d’occupation sans droit ni titre d’un bien appartenant à un particulier.
Une illégalité manifeste de l’acte
La voie de fait se caractérise par une action ou une décision :
- Manifestement insusceptible de se rattacher à une compétence administrative : Par exemple, la destruction d’un bien sans autorisation ou justification légale.
- Exécution forcée irrégulière : Lorsque l’administration exécute une décision administrative sans respecter les garanties procédurales légales.
Un caractère exceptionnel
La voie de fait est une notion exceptionnelle, réservée aux situations dans lesquelles l’administration agit en dehors de tout cadre légal ou en méconnaissance flagrante des droits fondamentaux.
Compétence du juge judicaire
En matière de voie de fait, le juge judiciaire est compétent, en dérogation au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires (loi du 16-24 août 1790).
Il est compétent pour constater la commission d’une voie de fait, enjoindre à l’administration de la faire cesser et ordonner la réparation des préjudices subis. (TC, 8 avril 1935 Action française). Le juge judiciaire peut intervenir par la voie du référé ou au fond.
- Juge des référés : En cas d’urgence, le juge judiciaire peut être saisi pour ordonner l’arrêt de la voie de fait.
- Juge du fond : Il peut constater l’existence de la voie de fait et octroyer des réparations.
Compétence résiduelle du juge administratif
Depuis la jurisprudence Bergoend c/ ERDF (CE, 17 juin 2013), la voie de fait est limitée aux atteintes graves à la propriété ou aux libertés fondamentales. Les autres contentieux relèvent désormais exclusivement du juge administratif.
Les implications pratiques de la voie de fait
La voie de fait permet aux particuliers de protéger efficacement leurs droits face à des abus de pouvoir ou des actes arbitraires de l’administration. Elle constitue un garde-fou essentiel dans un État de droit.
L’administration reconnue coupable d’une voie de fait engage sa responsabilité. Elle peut être condamnée à réparer les préjudices causés, notamment en versant des dommages-intérêts.
La notion de voie de fait, en tant qu’exception au principe de séparation des pouvoirs, doit être strictement encadrée pour éviter des abus ou une banalisation de son usage.
Jurisprudences essentielles
Arrêt TC, 8 avril 1935, Action Française : La voie de fait a été initialement reconnue dans cet arrêt, où l’administration avait saisi des journaux sans base légale.
Arrêt TC, 17 juin 2013, Bergoend c/ ERDF : Cet arrêt a restreint la notion de voie de fait en exigeant une atteinte grave à une liberté fondamentale ou au droit de propriété.
Arrêt CE, 23 janvier 2020, Commune de Valence : Le Conseil d’État a rappelé que la voie de fait ne peut être invoquée que dans des circonstances exceptionnelles.
Conclusion
La théorie de la voie de fait est une protection juridique contre les excès de l’administration. Elle permet d’assurer le respect des libertés fondamentales et des droits de propriété et d’engager la responsabilité de l’administration.