Territorialité de l’impôt sur les sociétés : principes et limites

par | 22 Mar, 2025 | Exprime Avocat, Fiscalité

Territorialité de l'impôt

La territorialité constitue un principe cardinal du droit fiscal, définissant l’assiette de l’imposition selon la localisation géographique des revenus ou de l’activité. En matière d’impôt sur les sociétés (IS), le principe de territorialité, prévu à l’article 209, I du Code général des impôts (CGI), permet de déterminer quels bénéfices doivent être soumis à l’impôt en France. Cette règle connaît cependant de nombreuses atténuations, notamment à travers les conventions fiscales internationales et l’évolution jurisprudentielle. Ce mécanisme juridique, au croisement du droit fiscal interne et du droit international, soulève des enjeux fondamentaux tant pour les entreprises que pour l’administration fiscale.

Le principe de territorialité de l’IS posé par l’article 209, I du CGI

L’article 209, I du CGI dispose que :

Les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les résultats de l’ensemble des opérations de toute nature réalisées par les entreprises exploitées en France, y compris celles dont les résultats ne sont pas imposables en vertu d’une disposition expresse.

Dès lors, sont imposables à l’IS les bénéfices des entreprises « exploitées en France« . Le territoire fiscal français comprend la métropole, les Départements d’Outre-mer (DOM) ainsi que le plateau continental (CE, 16 déc. 1998, n° 156535, Schlumberger). En revanche, les Collectivités d’Outre-mer, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et Monaco sont considérés comme situés hors de France.

L’article 209 I du CGI établit clairement que l’impôt sur les sociétés français est territorial, c’est-à-dire que seuls les bénéfices rattachables à une activité exercée en France sont soumis à l’IS, peu importe la nationalité ou le siège social de la société.

Deux conséquences directes peuvent être tirées :

  • Une société française n’est imposée à l’IS en France que sur ses bénéfices provenant de ses activités en France.
  • Les bénéfices réalisés à l’étranger par des établissements stables ou filiales ne sont, en principe, pas soumis à l’IS en France, sauf dispositions spécifiques.

La notion d’« entreprise exploitée en France »

L’administration fiscale et la jurisprudence ont interprété de manière extensive la notion d’exploitation en France. Il ne s’agit pas simplement d’un critère de localisation juridique (siège social), mais d’un critère économique et factuel.

La société est considérée comme exploitée en France dès lors qu’elle y réalise une activité effective susceptible de générer des bénéfices.

Les critères retenus incluent :

  • La présence d’un établissement stable ou d’une base fixe d’affaires.
  • La localisation des moyens de production ou de la force de travail.
  • L’exercice effectif de la gestion en France (jurisprudence Société Weil CE 25 mai 1960).

Ainsi, selon la jurisprudence, une entreprise est considérée comme exploitée en France dès lors qu’elle y exerce une activité effective, soit par l’intermédiaire d’un établissement fixe, soit en l’absence d’établissement, par l’accomplissement d’opérations formant un cycle commercial complet (CE, 8 juin 1937, n° 55.081 ; BOI-IS-CHAMP-60-10).

L’assimilation d’entités étrangères exploitant en France

Une société étrangère qui exerce une activité en France peut être redevable de l’IS à raison de ses bénéfices français, si elle est regardée comme exploitée en France.

Exemple : une société luxembourgeoise disposant d’un entrepôt logistique en France pour sa clientèle française est imposable en France sur les résultats de cette activité.

L’articulation entre droit interne et conventions fiscales internationales

La France est liée par plus de 120 conventions fiscales bilatérales, qui visent à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale. Ces conventions, signées conformément à l’article 55 de la Constitution, ont une autorité supérieure à la loi.

Le rôle central de la notion d’établissement stable

Les conventions fiscales, en grande majorité fondées sur le Modèle OCDE, limitent le droit d’imposer d’un État aux bénéfices attribuables à un établissement stable situé sur son territoire.

L’article 7 du Modèle OCDE prévoit : « Les bénéfices d’une entreprise d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. »

L’établissement stable est une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité, par exemple un bureau, une usine, un chantier de plus de 12 mois ou un agent dépendant.

En présence d’un établissement stable, les bénéfices rattachables à cet établissement sont imposables en France, même si la société est étrangère.

La méthode d’attribution des bénéfices à l’établissement stable

La méthode suivie est celle de la fiction d’une entreprise distincte, consistant à reconstituer les résultats que l’établissement stable aurait réalisés s’il avait été une entité indépendante (principe de pleine concurrence – arm’s length principle).

Les difficultés rencontrées concernent :

  • La délimitation des bénéfices attribuables ;
  • Le traitement des opérations intragroupes ;
  • Le partage des fonctions, des actifs et des risques.

Les atténuations et exceptions au principe de territorialité

Activité à l’étranger d’une société française

Les bénéfices réalisés dans un État étranger ne sont en principe pas imposables en France s’ils résultent d’un cycle commercial complet à l’étranger (CE, 14 févr. 1944, n° 67.442). Toutefois, ils peuvent rester imposables s’ils ne sont pas détachables des activités françaises ou si l’établissement à l’étranger est dépourvu d’autonomie (CE, 3 avr. 1968 ; CE, 14 mars 1979).

Dispositif anti-abus de l’article 209 B du CGI

Ce dispositif (régime CFC) permet l’imposition en France des bénéfices d’une entité contrôlée à l’étranger soumise à un régime fiscal privilégié ou située dans un État non coopératif.

Le seuil de détention est de 50 %, abaissé à 5 % en cas de communauté d’intérêts. Les revenus sont alors imposables comme des revenus de capitaux mobiliers (RCM) ou bénéfices selon la nature de l’entité. La charge de la preuve est inversée lorsque l’entité est située dans un État non coopératif (CE, 4 juill. 2014, n° 357264).

La taxation des plus-values de cession d’actifs situés en France

Même sans établissement stable, certaines plus-values sont imposables en France :

  • Article 219, I-a du CGI : plus-values immobilières de sociétés étrangères.
  • Article 244 bis B du CGI : cession de titres de sociétés françaises à prépondérance immobilière.

Activités immatérielles et commerce électronique

Un simple site Internet ne constitue pas un établissement stable, sauf si la société exploite un serveur physique en France, avec personnel et autonomie (CE, 11 déc. 2020, n° 420174).

La possibilité d’option pour le régime mondial

Certaines sociétés peuvent opter pour une imposition mondiale, notamment dans le cadre du régime des sociétés mères, ou lorsque les conventions fiscales le permettent.

Jurisprudence marquante et évolutions récentes

1.Conseil d’État

  • CE, 3 avril 2002, SA Andritz : exploitation en France retenue même sans établissement stable.
  • CE, 14 octobre 2020, n°421524 (Sté Conversant) : l’existence d’un établissement stable s’apprécie selon les critères conventionnels.

2.L’influence du droit européen et des normes OCDE

  • Le principe de libre établissement (art. 49 TFUE) et de libre circulation des capitaux (art. 63 TFUE) limite les discriminations territoriales.
  • Le projet BEPS (OCDE), notamment l’Action 7, élargit la notion d’établissement stable.

Conclusion

La territorialité de l’impôt sur les sociétés repose sur un équilibre délicat entre souveraineté fiscale et coordination internationale. Si l’article 209 du CGI pose un cadre clair, la réalité économique, la complexité des montages transfrontaliers et l’influence du droit international conduisent à une application nuancée et souvent contentieuse du principe. Face à cette complexité, la sécurisation de la politique fiscale des entreprises suppose une vigilance accrue dans la qualification des établissements stables, l’organisation des flux intragroupes et le respect des règles de pleine concurrence.

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