Responsabilité du transporteur : principes et actions judicaires

par | 18 Oct, 2024 | Articles droit des transports, Exprime Avocat

Par principe, le transporteur est soumis à une responsabilité stricte dans le cadre de l’acheminement des marchandises qui lui sont confiées. Cette responsabilité, régie par l’article L. 133-1 du Code de commerce, trouve son fondement dans une obligation de résultat. Cela signifie que le transporteur est présumé responsable en cas de perte ou d’avarie des marchandises, à moins qu’il ne puisse démontrer l’existence d’une cause exonératoire telle que la force majeure, le vice propre de la marchandise ou une faute de l’expéditeur. Cet article propose une analyse juridique du régime légal de cette responsabilité, en examinant les mécanismes d’engagement et d’exonération, ainsi que les limites et exceptions reconnues par le droit.

Le principe de la responsabilité présumée du transporteur

La garantie imposée par l’article L. 133-1 du Code de commerce

L’article L. 133-1 du Code de commerce pose un principe fondamental : le transporteur est garant de la perte ou de l’avarie des marchandises qui lui sont confiées, sauf à établir l’existence d’une cause exonératoire. Ce texte établit ainsi une présomption de responsabilité qui pèse sur le transporteur. Il se distingue des régimes de responsabilité fondés sur une obligation de moyens, car le transporteur ne peut se contenter de prouver qu’il a mis en œuvre tous les moyens à sa disposition ; il doit prouver que le dommage découle d’une cause qui lui est extérieure et qu’il n’aurait pu prévenir. Il s’agit bien d’une obligation de résultat, ce qui signifie que la seule survenance d’un dommage (perte ou avarie) suffit à engager la responsabilité du transporteur.

Ainsi, l’expéditeur ou le destinataire n’a pas à démontrer la faute du transporteur : celle-ci est présumée dès l’instant où le dommage est constaté à la livraison.

La portée de l’obligation de résultat du transporteur

L’obligation de résultat du transporteur implique que toute perte ou avarie constatée à la livraison engage sa responsabilité, sauf à démontrer l’une des causes exonératoires prévues par la loi. Cette responsabilité englobe à la fois les dommages matériels (détérioration ou destruction des marchandises), mais aussi les pertes de marchandises, qu’elles soient partielles ou totales.

Les causes d’exonération ont été posées par la loi et la jurisprudence. Il est prévu que le transporteur ne répond pas des dommages résultant : 

  • d’un vice propre de la marchandise, c’est-à-dire une fragilité ou un défaut inhérent à l’objet transporté (produits périssables, par exemple) ;
  • de la force majeure, définie comme un événement extérieur, imprévisible et irrésistible qui empêche l’exécution normale du contrat ;
  • ou encore d’une faute de l’expéditeur, telle qu’un défaut d’emballage ou des instructions incomplètes ou incorrectes.

Mécanisme de la responsabilité et preuve des causes exonératoires

Dès lors qu’un dommage est constaté à la livraison, la responsabilité du transporteur est engagée de plein droit. Ce dernier doit alors prouver que le dommage est dû à une cause exonératoire. Ce mécanisme simplifie la situation de l’expéditeur ou du destinataire, qui n’a pas à démontrer une faute spécifique du transporteur. Il leur suffit de prouver la réalité du dommage (perte ou avarie) pour que le transporteur soit automatiquement présumé responsable (Cass. com., 20 févr. 2001).

Renversement de la présomption

Pour échapper à sa responsabilité, le transporteur doit apporter une double preuve : d’une part, il doit prouver l’existence d’une cause exonératoire (force majeure, vice propre de la chose ou faute de l’expéditeur), et, d’autre part, il doit établir un lien de causalité entre cette cause exonératoire et le dommage constaté.

Preuve de l’existence d’une cause exonératoire

Le transporteur ne peut se contenter d’affirmer qu’il n’a pas commis de faute ou qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Il doit démontrer de manière précise et formelle que le dommage est dû à l’une des trois causes exonératoires. Par exemple, pour invoquer le vice propre d’une marchandise, il devra fournir des preuves matérielles incontestables, telles qu’un rapport d’expertise ou des constatations précises établies lors de la prise en charge. De simples suppositions ou hypothèses ne suffisent pas pour échapper à sa responsabilité (Cass. com., 13 janv. 1981).

Lien de causalité entre la cause exonératoire et le dommage

Il ne suffit pas au transporteur d’établir l’existence d’un événement exonératoire ; il doit également démontrer que ce dernier est la cause directe du dommage subi par la marchandise. Par exemple, s’il invoque des conditions climatiques défavorables comme cas de force majeure, il devra prouver que ces conditions ont directement causé la détérioration des marchandises et qu’aucune faute de sa part n’a contribué à cette détérioration (CA Aix-en-Provence, 10 juin 1983).

Le doute joue contre le transporteur

Dans l’hypothèse où la cause du dommage reste incertaine ou ne peut être déterminée avec certitude, la responsabilité du transporteur demeure engagée. La jurisprudence est constante à cet égard : si l’origine du dommage ne peut être prouvée, c’est au transporteur d’en assumer les conséquences. Il ne peut en aucun cas se décharger de sa responsabilité en invoquant l’absence de preuve formelle du dommage par l’expéditeur.

Partage de responsabilité en cas de faute conjointe

La responsabilité du transporteur peut être partagée lorsque le dommage résulte à la fois d’une faute de l’expéditeur et d’une faute du transporteur. Par exemple, si l’expéditeur a mal emballé la marchandise, mais que le transporteur a également commis une négligence, tels que la fourniture d’un véhicule inadapté, la jurisprudence opère un partage de responsabilité entre les parties (Cass. com., 20 mai 1997).

Limites à l’exonération et particularités contractuelles

Caractère d’ordre public de la responsabilité du transporteur

L’article L. 133-1 du Code de commerce revêt un caractère d’ordre public, ce qui signifie que les parties au contrat de transport ne peuvent y déroger par convention. Toute clause visant à limiter ou à exclure par avance la responsabilité du transporteur est réputée nulle de plein droit. Cela inclut notamment les clauses figurant dans les lettres de voiture ou les conditions générales de transport, qui tenteraient de réduire la responsabilité du transporteur en cas de dommages (Cass. com., 24 mars 2021).

Validité des clauses limitatives d’indemnité

Si l’exclusion de responsabilité est proscrite, le Code de commerce permet toutefois la limitation du montant des indemnités en cas de dommage, à condition que cette limitation soit clairement prévue et acceptée par l’expéditeur lors de la conclusion du contrat. Ces clauses sont valables tant qu’elles n’aboutissent pas à une indemnité dérisoire au regard du préjudice subi. La jurisprudence exige néanmoins que les clauses limitatives soient explicites et communiquées à l’expéditeur pour être opposables.

Prescription de l’action en responsabilité

Délai de prescription

L’action en responsabilité contre le transporteur est soumise à un délai de prescription strict, fixé à un an par l’article L. 133-6 du Code de commerce. Ce délai court à partir de la date de livraison des marchandises ou, si la livraison n’a pas eu lieu, de la date à laquelle elle aurait dû être effectuée.

Toute action intentée par l’expéditeur ou le destinataire après l’expiration de ce délai sera frappée de forclusion. Ce délai relativement court vise à garantir la sécurité juridique des parties et la rapidité des échanges commerciaux.

Suspension et interruption de la prescription

La prescription peut être suspendue ou interrompue dans certains cas. Par exemple, la demande d’expertise judiciaire ou une mise en demeure interrompent le délai de prescription. Une fois interrompue, la prescription recommence à courir pour une durée d’un an. Les négociations entre les parties peuvent également entraîner la suspension du délai, jusqu’à ce que l’une des parties manifeste sa volonté de ne pas poursuivre les discussions.

L’action en garantie du transporteur

Action en garantie et chaîne de transporteurs

Le transporteur, lorsqu’il est poursuivi par l’expéditeur ou le destinataire pour la perte ou l’avarie des marchandises, peut à son tour exercer une action en garantie contre ses sous-traitants, comme un manutentionnaire ou un autre transporteur ayant pris part au transport. Cette action en garantie permet de répartir la responsabilité entre les différents intervenants ayant contribué à l’exécution du contrat de transport.

En cas de transport successif par plusieurs transporteurs, chaque transporteur successif est responsable des marchandises qu’il prend en charge, à moins qu’il n’émette des réserves au moment de la réception. Le dernier transporteur dans la chaîne peut se voir imputer la responsabilité pour l’ensemble des dommages constatés à la livraison, même si le dommage est survenu en amont.

Compétence des tribunaux

Compétence territoriale

En matière de litiges concernant la responsabilité du transporteur, les règles de compétence territoriale sont régies par les articles 42 et suivants du Code de procédure civile. En principe, le tribunal compétent est celui du domicile du défendeur (le transporteur). Toutefois, en matière commerciale, les parties peuvent inclure une clause attributive de juridiction dans le contrat de transport, désignant un autre tribunal compétent.

Spécificités du transport international

Lorsque le contrat de transport est soumis à des conventions internationales, telles que la Convention CMR (Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route), des règles spécifiques de compétence s’appliquent. La Convention CMR prévoit que les litiges peuvent être portés devant les tribunaux du lieu où le transporteur est domicilié, où se trouve le lieu de prise en charge des marchandises, ou encore où se situe le lieu de destination des marchandises (art. 31 de la CMR).

Dans les litiges internationaux, les parties peuvent également convenir de soumettre leur différend à un tribunal arbitral ou de désigner une juridiction spécifique dans une clause d’arbitrage. La validité de ces clauses est reconnue par les conventions internationales et la jurisprudence française.

Compétence matérielle

Sur le plan matériel, les litiges relatifs au transport de marchandises, en raison de leur nature commerciale, sont en principe de la compétence des tribunaux de commerce. Toutefois, si l’une des parties est un consommateur (non-professionnel), la compétence pourrait être attribuée aux tribunaux civils, notamment si le contrat relève du droit de la consommation.

Conclusion

Le régime de responsabilité du transporteur, tel que prévu par l’article L. 133-1 du Code de commerce, repose sur une présomption de responsabilité stricte, fondée sur une obligation de résultat. Le transporteur est tenu d’une garantie pour la livraison des marchandises en bon état, sauf à prouver l’existence d’une cause exonératoire formelle. Cette responsabilité, qui revêt un caractère d’ordre public, ne peut être aménagée que dans les limites autorisées par la loi.

Les règles de prescription limitent le délai d’action à un an, et les actions en garantie permettent au transporteur de se retourner contre ses sous-traitants. Enfin, les règles de compétence des tribunaux, tant territoriales que matérielles, garantissent un cadre précis pour les litiges en matière de transport, en tenant compte des spécificités du transport national et internationale.

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