Convention extrastatutaire entre actionnaires, un pacte d´actionnaires peut-il être conclu pour toute la vie de la société ? Un des actionnaires peut-il y mettre fin de manière unilatérale ? Ces questions ont été tranchées par la Cour de cassation dans un arrêt du 25 janvier 2023. Nous faisons le point sur les enseignements de cet arrêt.
Qu´est-ce qu’un pacte d´actionnaires ou d’associés ?
Un pacte d´actionnaires est un accord entre actionnaires intervenus hors statuts de la société. Dans la pratique, il s´agit d’un contrat par lequel les actionnaires conviennent de règles supplémentaires régissant les relations entre associés et la gestion de la société.
Cela peut concerner par exemple la gestion commerciale, la trésorerie ou le capital social. Alors que les statuts déterminent la personnalité morale de la société et son fonctionnement, le pacte d´actionnaire peut concerner tous les actionnaires ou certains d´entre eux. Contrairement aux statuts, le pacte d’actionnaire n’est pas publié.
La dénomination peut varier suivant la forme de la société puisqu´on parle de pacte d´associés pour les SARL (Société à Responsabilité Limitée) et de pacte d’actionnaires pour une SA (Société Anonyme) ou SAS. Si les faits soumis à la Cour de cassation concernaient une SAS, les enseignements de cet arrêt s´appliquent aux autres formes sociétaires.
La question des engagements perpétuels
Un grand principe juridique est que les engagements perpétuels sont interdits. C’est de très longue date que la Cour de cassation l´a reconnu avant d´être suivie par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC).
Le législateur n´a pas fait exception puisqu´en 2016, il a adopté l´article 1210 du Code civil : « Les engagements perpétuels sont prohibés. Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée ».
C´est dans ce contexte que la Cour de cassation a eu à connaître d´une affaire née avant cette réforme du droit des contrats de 2016.
Le contexte : un pacte d´actionnaires conclu en 2010 résilié unilatéralement
Un pacte d´actionnaires avait été conclu en janvier 2010 dans le cadre d´une SAS à vocation familiale. En 2017, deux des actionnaires avaient notifié la résolution unilatérale du pacte.
Un autre actionnaire avait saisi la justice pour contester cette résolution en se heurtant à un arrêt de la cour d´appel qui estimait, au contraire, que cette résiliation était régulière. Le raisonnement de la Cour d´appel était le suivant : comme le pacte avait été conclu pour la durée de vie restante de la société, cette durée pouvait être considérée comme indéterminée et autoriser une résiliation unilatérale.
La question soumise à la Cour de cassation était donc celle de la durée des pactes d´associés.
Un pacte d´associés pour la durée de vie d´une société ne peut être résilié unilatéralement
L´actionnaire opposé à la résiliation le fait que le pacte avait été conclu pour la durée de vie de la SAS, ce qu´il considérait comme étant une durée déterminée. Il en tirait comme conséquence qu´une résiliation avant terme était impossible.
Dans son arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation suit cette position et casse l’arrêt d’appel (Cass. Civ. 1re, 25 janv. 2023, n° 19-25.478 B). Celle-ci se fonde deux articles du Code civil : l´article 1134 alinéa l, tel qu’´existant avant la réforme de 2016, et l´article 1838.
Elle considère qu´en combinant ces deux articles, l´interdiction des engagements perpétuels ne fait pas obstacle à la conclusion d´un pacte d’actionnaires pour la durée de la vie d´une société, soit un maximum de 99 ans selon l´article 1838 du Code civil.
Pourtant, il est vrai que les faits au cas d’espèce soulevaient la question de l’engagement perpétuel étant donné que le pacte était automatiquement et tacitement renouvelé pour la durée de vie la société et que celui-ci bénéficié aux héritiers.
Ainsi, la Cour d’appel avait pu apprécier le caractère perpétuel de l’engagement compte tenu que « les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir du pacte qu’à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Il en déduit que cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment. »
La Cour de cassation n’a pas partagé cette position. Pour la Cour, il s´agit d´un engagement à durée déterminée, ce qui a pour conséquence qu’aucune des parties ne peut y mettre fin unilatéralement.
Des conséquences pour la pratique juridique
Tout d´abord, il faut retenir que cette position de la Cour de cassation vient opérer une distinction entre les pactes d’actionnaires suivant qu´ils sont conclus pour une durée déterminée ou pour une durée indéterminée.
Ensuite, il est important de se concentrer sur l´enseignement principal de cet arrêt : un pacte d´actionnaires conclu pour 99 ans, soit la durée maximale de vie d’une société, est un contrat à durée déterminée.
Cela n´est pas considéré par la Cour de cassation comme contraire à l´interdiction des engagements perpétuels dans le contexte de personnes morales. Ainsi, il est tout à fait possible de rédiger un pacte d´associés de la même durée que la société sans risque de se voir requalifier en contrat à durée indéterminée ouvrant la voie à une résiliation unilatérale.