La notion de « nue-propriété » est un concept juridique que l’on retrouve dans le domaine du droit des biens, notamment dans le cadre du démembrement de la propriété.
Pour rappel, le droit de propriété est consacré par les articles 544 et suivants du Code civil qui encadrent les règles régissant la manière d’acquérir un bien et d’en disposer.
Cet article vise à fournir une analyse du concept de nue propriété, sa définition, ses caractéristiques, son fonctionnement pratique ainsi que ses implications fiscales et successorales.
Définition de la nue-propriété
La nue-propriété est l’un des éléments constitutifs du démembrement de la propriété. Elle confère à son titulaire le droit de disposer du bien (c’est-à-dire de le vendre, de le donner ou de le léguer), sans pour autant lui octroyer le droit de l’usage ou de percevoir les fruits générés par ce bien, ces derniers étant réservés à l’usufruitier.
Caractéristiques
La propriété d’un bien est divisée en trois droits distincts, à savoir :
Usus : Le droit d’usage permet au propriétaire d’utiliser son bien à sa guise, que ce soit en l’occupant, l’exploitant, ou en le laissant inoccupé.
Fructus : Ce droit permet au propriétaire de bénéficier des produits générés par son bien, comme les récoltes d’un terrain, les loyers d’un bien immobilier ou les dividendes d’actions. L’article 547 du Code civil souligne que le propriétaire a le droit de récolter tant les « fruits naturels ou industriels de la terre » que les « fruits civils ».
Abusus : L’attribut d’abusus donne au propriétaire le droit de disposer de son bien en pleine souveraineté, y compris de le vendre, de le donner, ou même de le détruire.
Dans le cadre de la nue-propriété, ces principes sont partiellement réorganisés.
Le fructus et l’usus sont transférés à l’usufruitier, qui bénéficie de l’usage du bien et de ses fruits, tandis que le nue-propriétaire conserve l’abusus, soit le droit de disposer du bien (vente, donation, transmission par héritage), sans en avoir l’usage quotidien ni bénéficier des fruits produits.
Cette répartition des droits montre que la nue-propriété constitue une forme spécifique d’exercice du droit de propriété, où les attributs traditionnels du propriétaire sont séparés et partagés entre plusieurs parties. Cela permet une gestion patrimoniale flexible, notamment dans les stratégies de transmission et de planification successorale, tout en respectant le cadre juridique général du droit de propriété.
Conséquences
Absence de jouissance immédiate : Le nu-propriétaire ne bénéficie pas des revenus (loyers, intérêts, dividendes, etc.) générés par le bien. Ces revenus reviennent à l’usufruitier.
Droits de disposition : Le nu-propriétaire conserve le droit de vendre ou de transmettre le bien, mais toute transaction doit généralement recevoir l’assentiment de l’usufruitier, sauf dispositions légales ou contractuelles spécifiques.
Réversion automatique de l’usufruit : À l’extinction de l’usufruit (à la suite du décès de l’usufruitier ou à l’expiration de la période fixée), la pleine propriété se reconstitue automatiquement et revient au nu-propriétaire sans formalités particulières.
Fonctionnement pratique
Dans la pratique, la nue-propriété est souvent utilisée dans des stratégies de transmission patrimoniale. En effet, elle permet de séparer la gestion et les bénéfices d’un bien de sa valeur patrimoniale.
Les parents peuvent, par exemple, choisir de transmettre la nue-propriété de leur résidence principale ou de leurs actifs financiers à leurs enfants, tout en conservant l’usufruit, leur garantissant ainsi un revenu ou l’usage du bien durant leur vie.
Implications fiscales et successorales
Les implications fiscales de la nue-propriété sont particulièrement importantes en matière de droits de donation et de succession. La valeur de la nue-propriété est inférieure à celle de la pleine propriété et est calculée selon un barème fiscal qui prend en compte l’âge de l’usufruitier. Cette évaluation réduite peut permettre de diminuer significativement les droits de donation ou de succession à payer lors de la transmission du bien.
La transmission de la nue-propriété a des conséquences sur la répartition de l’héritage. Comme la valeur de la nue-propriété est moindre, elle permet une allocation stratégique des actifs entre les héritiers, pouvant servir à équilibrer la part successorale de chacun tout en optimisant la charge fiscale globale.
Implications en droit des sociétés
L’article 578 du Code civil stipule que le nu-propriétaire conserve la propriété des parts ou actions. La qualité d’associé est donc réservée au nu-propriétaire. L’usufruitier ne peut donc pas être reconnu comme associé « L’usufruitier de parts sociales ne peut être considéré comme associé » (Cass. civ. 3e, 16 fév. 2022, no 20-15.164)
Cependant, les droits de vote et d’autres droits d’associés ne sont pas nécessairement attribués au nue propriétaire.
Bien que l’usufruitier ne jouisse pas de la qualité d’associé, il bénéficie d’un droit aux dividendes. Il peut également voter sur l’affectation des bénéfices (les statuts peuvent néanmoins organiser différemment ce droit de vote).
Enfin, depuis la loi du la loi du 19 juillet 2019, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont désormais le droit de participer aux décisions collectives, indépendamment de qui possède le droit de vote, et ce droit ne peut être limité par les statuts (article 1844 al. 3 et 4 du Code civil).