Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 29 novembre 2023, Arrêt nº 761 F-B
L’arrêt rendu le 29 novembre 2023 par la Cour de cassation, chambre commerciale, met en lumière les principes du droit du cautionnement. Cet arrêt, traitant du caractère nécessaire de la mention précise de la durée de l’engagement de la caution dans les contrats de prêt, constitue un exemple pertinent de l’application rigoureuse du formalisme protecteur des cautions, tel que dicté par l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation.
Cependant, avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance nº 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cadre légal a évolué, modifiant ainsi les exigences formelles et substantielles des engagements de caution.
Rappel des faits et de la procédure
La société Caisse régionale de crédit agricole du Languedoc a consenti un prêt à la société Laurika, pour lequel M. [Z] et Mme [B], son épouse, se sont portés cautions solidaires. Suite à la mise en liquidation judiciaire de la société Laurika, la banque a assigné Mme [B] en exécution de son engagement de caution. L’arrêt de la cour d’appel de Nîmes a déclaré cet engagement nul en raison de l’absence de précision de la durée de l’emprunt dans la mention manuscrite de la caution, ce que contestait la banque.
Question de droit
La question principale porte sur l’interprétation de l’article L. 341-2 du code de la consommation, spécifiquement sur la nécessité pour la caution de spécifier de manière précise et autonome la durée de son engagement sans devoir se référer aux clauses générales du contrat de prêt.
Analyse de la décision
Rappel des définitions et principes juridiques
Le cautionnement est défini dans le Code civil (article 2288, ancienne et nouvelle version) comme un engagement par lequel une personne, appelée la caution, s’engage à payer la dette du débiteur principal en cas de défaillance de ce dernier. La nature accessoire du cautionnement implique que son existence et ses conditions dépendent de l’obligation principale.
Les conditions de validité du cautionnement sont strictement réglementées, notamment en ce qui concerne la mention manuscrite exigée par l’article L. 341-2 du code de la consommation. Cette mention doit expliciter clairement l’étendue et la durée de l’engagement de la caution, indépendamment des clauses du contrat principal.
La jurisprudence de la Cour de cassation a constamment souligné que la mention manuscrite doit permettre à la caution d’avoir une connaissance complète et précise de son engagement (Cass. com., 12 octobre 2010, n° 09-17242 ; Cass. com., 5 janvier 2010, n° 08-21385).
Explication de la décision des juges et solution apportée
Dans l’arrêt en question, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel de Nîmes, qui avait déclaré nul l’engagement de caution de Mme [B] au motif que la durée de l’engagement n’était pas précisée dans la mention manuscrite. Cette exigence de précision est justifiée par la nécessité de protéger la caution contre des engagements indéterminés ou mal compris, qui pourraient la conduire à des obligations disproportionnées par rapport à sa volonté initiale et à sa compréhension des risques encourus.
La cour d’appel et la Cour de cassation ont jugé que la mention « pour la durée de l’emprunt » était insuffisante, car elle nécessitait une référence aux clauses imprimées du contrat principal pour déterminer la durée exacte de l’engagement. Cette approche est conforme à la jurisprudence antérieure qui insiste sur la nécessité d’une mention manuscrite autonome et complète pour garantir que la caution ait pleinement conscience de l’étendue de son engagement (Cass. com., 3 juin 2010, n° 09-14332 ; Cass. com., 15 février 2011, n° 10-10270).
Ces décisions illustrent le principe selon lequel les juges sont vigilants à assurer que toutes les conditions formelles du cautionnement soient remplies pour valider l’engagement de la caution, réaffirmant le rôle protecteur du formalisme dans ce domaine du droit.
Valeur juridique de l’arrêt par rapport au droit constant
Cet arrêt, tout en confirmant l’importance de la clarté des mentions dans les contrats de cautionnement, doit être examiné à la lumière des réformes récentes du droit des sûretés. L’ordonnance nº 2021-1192 du 15 septembre 2021, en vigueur depuis le 1er janvier 2022, a modifié substantiellement les exigences relatives au cautionnement. Notamment, l’article 2297 du Code civil assouplit les formes que peut prendre l’engagement de caution, permettant désormais la souscription électronique et supprimant l’exigence que la durée de l’engagement figure dans la mention manuscrite ou dans l’acte de cautionnement.
Bien que l’arrêt en question s’applique à un engagement de caution pris avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, il demeure une illustration pertinente de la rigueur précédemment exigée par les tribunaux en matière de formalisme de cautionnement. Les juridictions ont toujours été strictes sur le formalisme afin de protéger la caution contre des engagements imprécis pouvant conduire à des obligations non anticipées (Cass. com., 17 novembre 2016, n° 14-16859).
Cependant, la nouvelle législation semble marquer un tournant vers une certaine flexibilité, visant potentiellement à faciliter les transactions tout en conservant des protections essentielles pour la caution.
Portée juridique de la décision et ses conséquences
L’arrêt analysé pourrait voir sa portée affectée par ces réformes récentes, notamment en ce qui concerne l’admissibilité des formes électroniques de cautionnement et la suppression de l’obligation d’inclure la durée spécifique dans le texte de l’engagement. Cela suggère un équilibre renouvelé entre la facilitation des transactions commerciales et la protection des cautions, ce qui pourrait influencer la manière dont les tribunaux aborderont des cas similaires à l’avenir.
En outre, l’assouplissement des exigences formelles pourrait entraîner une augmentation du nombre de cautions souscrites électroniquement, modifiant ainsi le paysage juridique et commercial des sûretés personnelles. Cette évolution législative invite à réfléchir sur les moyens de garantir que les cautions restent bien informées de leurs engagements malgré la disparition de certaines formalités traditionnelles. Le défi pour les tribunaux sera de maintenir un niveau adéquat de protection pour les cautions tout en respectant le cadre législatif simplifié.
Cela pose également la question de savoir si cette réforme entraînera une modification des pratiques bancaires et de prêt, qui pourraient évoluer pour tirer profit des nouvelles flexibilités offertes par la loi, tout en veillant à ne pas compromettre la clarté et la compréhension des engagements de caution. Les répercussions de ces changements sur la confiance des cautions et la fréquence des litiges en matière de cautionnement seront des aspects à surveiller de près.