Liquidation judiciaire et sûreté réelle : Vente forcée d’un bien insaisissable

par | 20 Nov, 2024 | Actualités juridiques

Jurisprudence

Arrêt Cour de Cassation 20 novembre 2024 – Pourvoi n° 23-19.924

Rappel des faits

La société Crédit Logement, créancière de M. [J] et de son épouse, détenait une hypothèque sur leur résidence principale. À la suite d’un jugement de décembre 2017 devenu irrévocable, un commandement aux fins de saisie-vente a été délivré le 11 mai 2021 sur cet immeuble.

Cependant, M. [J] a été mis en liquidation judiciaire le 28 janvier 2022, et un liquidateur, la société EKIP’, a été désigné.

La question portait sur la possibilité pour la société Crédit Logement de poursuivre la vente forcée de la résidence principale malgré la procédure collective.

Procédure

La cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 1er juin 2023, a jugé que la vente forcée de l’immeuble constituant la résidence principale ne pouvait être poursuivie avant la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, se fondant sur le principe de l’arrêt des poursuites individuelles.

La société Crédit Logement a formé un pourvoi en cassation, invoquant une violation des articles L. 526-1 et L. 641-3 du code de commerce.

Problème juridique

Un créancier titulaire d’une sûreté réelle, auquel l’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable en application de l’article L. 526-1 du code de commerce, peut-il, malgré l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, poursuivre une vente forcée de cet immeuble en dehors des règles de la procédure collective ?

Solution

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, jugeant que le créancier titulaire d’une sûreté réelle peut poursuivre la vente forcée d’un immeuble insaisissable, même en présence d’une procédure de liquidation judiciaire, dès lors que cette action ne tend pas au paiement direct de la créance.

Elle fonde sa décision sur les articles L. 526-1 et L. 622-21 du code de commerce, en précisant que la saisie-vente n’est pas une poursuite individuelle prohibée dans ce cadre.

Analyse de la décision

1. Rappel des principes applicables
  • Article L. 526-1 du code de commerce : L’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable aux créanciers bénéficiant d’une sûreté réelle inscrite avant la déclaration d’insaisissabilité.
  • Article L. 622-21 du code de commerce : La procédure collective entraîne l’arrêt des poursuites individuelles pour les créances nées avant son ouverture.
2. Position de la Cour d’appel

La cour d’appel avait assimilé la vente forcée à une action visant le paiement d’une créance, estimant que cette mesure était bloquée par l’ouverture de la procédure collective. Elle avait donc interdit la poursuite de la saisie-vente jusqu’à la clôture de la liquidation judiciaire.

3. Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation distingue clairement :

  • Une action en paiement, interdite pendant la liquidation judiciaire ;
  • Une action sur sûreté réelle, qui ne vise pas directement au paiement mais à la réalisation du droit du créancier sur le bien hypothéqué.

Elle juge que la saisie-vente, en tant que mesure d’exécution sur un bien grevé d’une hypothèque, ne contrevient pas à la suspension des poursuites individuelles prévue par la procédure collective.

Portée de la décision

Cette décision clarifie le régime applicable aux créanciers titulaires de sûretés réelles dans un contexte de procédure collective, en réaffirmant leur droit de priorité sur les biens grevés de sûretés. Elle renforce la sécurité juridique des créanciers tout en respectant les limites imposées par les procédures collectives.

Cet arrêt illustre l’équilibre recherché par la Cour de cassation entre les droits des créanciers garantis par une sûreté réelle et les règles protectrices de la procédure collective. La distinction entre action en paiement et action en réalisation d’une sûreté est fondamentale pour assurer cette cohérence juridique.

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