Cour de cassation, Chambre commerciale, Arrêt nº 522 du 30 août 2023, Pourvoi nº 21-20.222
La question de la disproportion des engagements de caution par rapport aux biens et revenus des cautions personnelles est un sujet de préoccupation constante en droit bancaire. La décision du 30 août 2023 de la Cour de Cassation, rendue dans l’affaire opposant les consorts [D] à la Banque CIC Ouest, soulève des interrogations pertinentes sur les méthodes d’évaluation de la capacité financière des cautions au moment de la souscription de leur engagement.
Cet arrêt met en lumière la pratique judiciaire consistant à utiliser des documents financiers préparatoires, même s’ils sont antérieurs de plusieurs mois, voire années, à la conclusion du cautionnement, pour établir si un engagement est disproportionné par rapport à la situation financière de la caution.
Ce commentaire vise à explorer la portée de cette décision, ses implications pour les cautions et les créanciers, ainsi que son alignement avec le cadre légal et jurisprudentiel existant.
Rappel des faits et de la procédure
Les consorts [D], Mme [E] [D] et M. [R] [D], se sont portés cautions solidaires pour un crédit ouvert par la société Banque CIC Ouest à la société Bretagne Sud Immobilier. Suite au non-remboursement du prêt, la banque a initié une procédure contre les consorts [D], qui ont invoqué la disproportion de leur engagement de caution par rapport à leurs biens et revenus.
Le litige a été porté devant la cour d’appel de Rennes, qui a rejeté les prétentions des consorts [D] et les a condamnés à payer une somme substantielle. Les consorts [D] ont par la suite formé un pourvoi en cassation.
Question de droit
La question principale concerne l’évaluation de la disproportion d’un engagement de caution. Le droit exige que les cautions, personnes physiques, ne soient pas engagées au-delà de ce que leurs biens et revenus permettent raisonnablement de couvrir.
Comment, alors, une cour d’appel peut-elle légitimement évaluer la proportionnalité d’un engagement de caution en se basant sur des documents préparatoires établis longtemps avant la signature du cautionnement ?
Rappel des principes juridiques
L’engagement de caution, tel que défini par le Code de la consommation, est strictement encadré pour protéger la personne physique qui accepte de garantir la dette d’un tiers. Selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, antérieur à sa modification par l’ordonnance de 2016, il est essentiel que l’engagement de la caution ne soit pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus au moment de la conclusion de l’engagement.
Cette disposition juridique est essentielle pour éviter que les cautions ne soient exposées à des risques financiers excessifs susceptibles de compromettre leur stabilité économique. La Cour de cassation a régulièrement appliqué ce principe, insistant sur le fait que le créancier professionnel doit évaluer la capacité de la caution à faire face à son engagement sans compromettre son existence financière (voir, par exemple, Cass. com., 17 novembre 2016).
Application des principes par la Cour
Dans l’arrêt analysé, la Cour de cassation valide l’approche de la cour d’appel de Rennes, qui a utilisé des informations financières issues d’une fiche de renseignements datant de janvier 2010 pour évaluer les engagements pris par les consorts [D] en 2011 et 2013.
Cette démarche est particulièrement significative car elle montre que, sous certaines conditions, les juges peuvent s’appuyer sur des documents financiers antérieurs à l’engagement de caution, tant que ces informations ne sont pas contestées et qu’elles sont jugées fiables par rapport à d’autres preuves apportées au cours du litige. En effet, la Cour reconnaît que l’absence de contestation des informations contenues dans la fiche de renseignements et l’absence de preuves contraires permettent de les utiliser comme base fiable pour évaluer la disproportion manifeste de l’engagement (Cass. com., 5 juin 2012).
Cette approche est cohérente avec la jurisprudence antérieure qui permet aux juges de fond une certaine latitude dans l’appréciation des preuves et des circonstances entourant la souscription d’un engagement de caution. L’arrêt illustre également l’importance pour les cautions de fournir des éléments actuels et précis sur leur situation patrimoniale lorsqu’elles contestent la disproportion de leur engagement, car les juges tiendront compte de la globalité des preuves disponibles pour faire leur évaluation.
Valeur juridique de l’arrêt
Cet arrêt illustre un aspect important du droit de la caution en confirmant la validité de l’usage de documents non contemporains pour évaluer la disproportion d’un engagement de caution. La jurisprudence antérieure a souvent souligné l’importance de l’actualité et de la précision des informations financières utilisées pour juger de la disproportion.
Toutefois, l’arrêt actuel établit que des documents antérieurs peuvent être utilisés, à condition qu’ils soient complétés et validés par des preuves actuelles. Cette décision s’aligne sur la jurisprudence qui autorise les juges à prendre en compte une variété de preuves pour évaluer la situation financière d’une caution au moment de l’engagement (Cass. com., 3 mai 2012 ; Cass. com., 7 juin 2011), soulignant la flexibilité nécessaire pour évaluer les engagements de caution de manière équitable.
En revanche, la Cour de cassation a récemment refusé de prendre en compte des éléments provenant d’une fiche de renseignement postérieure à la conclusion du contrat de cautionnement (Cass. com., 13 mars 2024, nº 22-19.900, B), précisant que toute information fournie ultérieurement ne pouvait normalement pas être utilisée pour contester ou confirmer la disproportion manifeste initiale. Voir l’article disproportion et fiches de renseignements.
Portée juridique de la décision et ses conséquences
La reconnaissance que les cours d’appel peuvent légitimement utiliser des fiches de renseignements établies bien avant la souscription des engagements de caution modifie la manière dont les cautions et les créanciers doivent préparer et présenter leur documentation financière. Cela pourrait conduire à une réévaluation des pratiques dans le domaine bancaire et financier concernant la documentation requise pour les engagements de caution.
Par ailleurs, cette décision pourrait inciter les cautions à maintenir une documentation précise et à jour de leur situation financière, étant donné que même des documents plus anciens peuvent être utilisés en cour si leur contenu n’est pas activement contesté et s’ils sont corroborés par d’autres preuves (Cass. com., 15 janvier 2013).
En somme, cette jurisprudence renforce la nécessité pour les cautions de comprendre pleinement les implications financières de leurs engagements et pour les créanciers de s’assurer de la validité et de la pertinence des informations utilisées pour évaluer la proportionnalité des cautionnements. Elle met en lumière l’équilibre entre la protection des cautions et la flexibilité nécessaire pour les créanciers dans la gestion de leurs risques, tout en garantissant une évaluation juste et équitable des engagements de caution.
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