Le dénigrement est le fait de jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié afin de bénéficier d’un avantage concurrentiel sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.
Il constitue un comportement déloyale prohibé au même titre que la désorganisation, le parasitisme et la confusion. Il résulte d’un abus à la liberté d’expression et vise à détruire l’avantage économique d’un concurrent.
Ce comportement abusif est sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil et impose dès lors de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité.
La définition du dénigrement en droit de la concurrence
Selon la jurisprudence, « Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique admissible dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 4, Arrêt du 30 mai 2018, Répertoire général nº 17/01693).
Le dénigrement ne doit pas être confondu avec la diffamation. Cette dernière relève d’une atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne alors que le dénigrement porte sur les services et produits d’une entreprise. (Cass. crim. 12 avr. 2016, n°14-87.959).
La distinction est aisée à comprendre lorsqu’elle concerne des produits et des services mais peut parfois être un peu plus compliqué lorsque les propos litigieux concernent une personne physique ou morale de manière indirecte.
Il faudra donc analyser les propos de façon à déterminer le véritable destinataire de la critique, afin d’établir si les faits relèvent du dénigrement ou de la diffamation.
Les éléments récurrents du dénigrement
L’auteur des propos litigieux est souvent un acteur économique qui jette le discrédit publiquement sur un concurrent dans le but de lui porter préjudice.
L’auteur des propos dénigrants :
Le dénigrement d’un bien ou d’un service est souvent le fait d’un concurrent exerçant sur un marché similaire. Pourtant, au regard de la jurisprudence, l’absence de concurrence n’empêche pas l’action en dénigrement. En effet, le dénigrement pourra être caractérisé contre toute personne, peu importe son activité et sa présence sur un marché, c’est à dire, association, syndicat ou même consommateur.
Il est de jurisprudence constante que : « Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement ». ( Cass. 1er civ., 11 juill. 2018, n°17-21.45).
Cette position se justifie au regard de la nature de l’action en concurrence déloyale fondée sur la responsabilité civile qui sanctionne une faute dommageable et ce, peu importe la qualité de l’auteur.
Si cette décision a récemment été reprise (Cass. com., 4 mars 2020, n°18-15.651), il faudrait néanmoins rester prudent dans le sens où le droit à la liberté d’expression et son corollaire, à savoir le droit de critiquer, devrait pouvoir faire échapper d’une condamnation en dénigrement, les personnes qui ne tirent pas profit de ces propos, ou être plus souple à leur égard.
D’ailleurs, il est à relever que les juges sont moins sévères à l’égard du consommateur qui tiendrait des propos dénigrants : « Le dénigrement fautif au sens de l’article 1240 du code civil doit, en l’espèce, être apprécié de façon d’autant plus restrictive que les propos reprochés émanent d’un consommateur et non de concurrents de la société. » (Cour d’appel de Lyon, 8ème Chambre, Arrêt du 11 décembre 2018, Répertoire général nº 18/02004).
Toutefois, le consommateur pourra être condamné si les propos sont faux dès lors qu’il n’a pas bénéficié des services de l’entreprise critiquée. En effet, le fait de laisser un faux avis sur internet peut nuire à une société et constituer un dénigrement engageant la responsabilité de son auteur. Par exemple, une personne a été condamnée à payer 15 000 euros en réparation du préjudice subi pour avoir posté le commentaire suivant : « Gérant assez désagréable, fournitures et prestations chères pour le résultat« . Selon la Cour de cassation : « Si le commentaire critique de services ou de prestations publié sur un site internet n’est pas en soi constitutif d’une faute, il devient fautif lorsque son auteur n’a pas bénéficié des services et prestations critiqués caractérisant ainsi le dénigrement ». (Cour d’appel de Versailles, 12ème Chambre, Arrêt du 18 juin 2019, Répertoire général nº 18/02791).
Les différents types de propos litigieux
Le dénigrement consiste à tenir des critiques malveillantes ou nuisibles à l’égard des produits ou des services d’un professionnel.
Il peut s’agir de tenir des propos néfastes sur la qualité des produits ou d’invoquer un mauvais rapport qualité/prix (Cass.com 23 octobre 1984). Mais aussi, de jeter le discrédit sur les produits de son concurrent en prétendant qu’ils sont contrefaits (CA Paris, 10 mai 2017, n°15/01850) ou encore que les produits présentent un caractère illicite au regard de la réglementation applicable. (Cass.com 24 fév. 2013)
De même, le fait de relater des difficultés de paiement d’une entreprise peut également constituer un dénigrement (Cass. com., 30 sept. 2020, no 18-25.204) tout comme le fait de faire la publicité d’une procédure judiciaire en cours (Cass.com 9 janvier 2019 n°17-18350 ; voir position contraire sur la publicité d’une « décision judiciaire » Cass. com., 18 oct. 2017, n°15-27.136).
De manière plus subtile, le fait de tenir des propos avantageux erronés sur ses propres produits au détriment de son concurrent peut également constituer un dénigrement. Par exemple, le mensonge sur l’exclusivité d’un produit lorsqu’une société prétend être la seule à proposer un certain type de produit (Cass. com 6 mars 1978 n°76-13306).
Le dénigrement peut être réalisé sur tous les supports, écrit, image, ou sonore. Il faudra que la personne, les biens ou les services soient identifiées et que les propos soient publiés.
L’identification de la personne, du bien ou du service.
Seul un propos dirigé contre une entreprise, un bien ou un service nommément désigné ou susceptible d’être identifié, peut engager la responsabilité de l’auteur des propos dénigrants.
Dès lors, la qualification de dénigrement sera acquise si l’objet économique est expressément désigné (nom du produit, de la société, marque, image, lien direct) ou identifiable.
Dans ce dernier cas, il appartient aux juges de se placer dans la situation des personnes destinataires des propos, et analyser si celles-ci pouvaient identifier le bien ou le service dénigré. A défaut, le dénigrement ne pourra pas être reconnu.
La publication des propos dénigrants
Outre l’identification, des biens, des services ou de l’entreprise, le dénigrement doit être public. La condition de « publicité » est bien entendue satisfaite en présence de propos dénigrants contenus dans un prospectus ou encore sur un site internet (CA Colmar, 14 févr. 2018, no 16/00788). Peu importe le mode de publicité ou son intensité, l’envoi d’une seule lettre adressée au concurrent suffit pour remplir cette condition (Cass. Com 14 février 2018 n°15-25346).
La diffusion publique est de l’essence du dénigrement. Toute communication privée est « de facto » exclue de l’action en dénigrement. Lorsqu’un propos présente un caractère « privé » et qu’il ne dépasse pas un cercle interne, la qualification de dénigrement est rejetée. Par exemple, la communication de documents internes au sein d’une entreprise (Cour d’appel de Paris 1 décembre 2004, Répertoire général nº 03/05869).
Enfin, l’identité ou la qualité des personnes destinataires du propos sont des éléments indifférents. Ainsi, un propos dénigrant peut constituer un acte de concurrence déloyale s’il est rendu public, peu importe qu’il soit adressé à un client ou à un fournisseur de la personne dont les produits ou services sont mis en cause (Cass. com., 12 mai 2021, n°19-17.714).
L’indifférence de la vérité des faits
Contrairement à la diffamation, l’auteur du dénigrement ne pourra pas faire valoir la véracité de ces propos pour échapper à la sanction (exceptio veritatis). En effet, ce moyen de défense est inapplicable en cas de dénigrement. Dès lors, l’auteur des propos ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité.
Il pourra néanmoins tenter de faire valoir que son propos s’inscrit dans un débat d’intérêt général ou qu’il relève d’un trait d’humour.
Les atténuations au dénigrement
Certains propos peuvent parfois se révéler nécessaire et ne conduisent pas forcément à la condamnation de leur auteur. Il s’agit notamment des propos servant l’intérêt général, et dans une moindre mesure, l’humour.
L’intérêt général
Si l’intérêt général n’est pas juridiquement un élément permettant d’exonérer son auteur, cet élément rend néanmoins l’action en dénigrement plus compliqué à aboutir. En effet, plusieurs décisions montrent que les juges freinent à condamner l’auteur de propos qui font l’objet d’un débat d’intérêt général. Ainsi, la campagne publicitaire des magasins E. Leclerc, concernant le monopole des pharmaciens sur la vente des médicaments non remboursés, n’a pas été jugé dénigrante (Cass.com 21 juin 2016 n°14-22709). De même, les débats sur la santé publique et notamment des publications virulentes sur un complément en vitamine D destiné aux nourrissons, n’ont pas été sanctionnées. (Cour de cassation, Première Chambre civile, Arrêt nº 735 du 11 juillet 2018, Pourvoi nº 17-21.457).
Un arrêt intéressant en date du 9 janvier 2019, semble venir poser les conditions requises à l’exonération de la responsabilité : « Attendu que, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ; »
Dès lors, la justification de propos dénigrants nécessite 3 conditions, à savoir : un sujet d’intérêt général, des éléments factuels, et des propos qui restent mesurés.
Le fait de l’humour
L’humour ne constitue pas une exception au dénigrement, et l’auteur d’un tel propos devrait pouvoir être poursuivi, sans que le trait humoristique ne puisse l’exonérer. En effet, l’humour ne doit pas être un moyen de pouvoir nuire à autrui librement.
Toutefois, les juges semblent plus tolérants si l’auteur du propos humoristique n’exerce pas d’activité concurrente à la victime. Il en sera ainsi dans l’affaire des « Guignols de l’info » opposant Canal + à un constructeur automobile (Cass. 12 juillet 2000 n°99-19004). Dans ce cas, la cour a considéré que « les propos mettant en cause les véhicules de la marque s’inscrivaient dans le cadre d’une émission satirique diffusée par une entreprise de communication audiovisuelle et ne pouvaient être dissociés de la caricature faite de M. X., de sorte que les propos incriminés relevaient de la liberté d’expression » (Cass. ass. plén, 12 juill. 2000, n°99-19.004).
Néanmoins, de manière plus globale, la Cour de cassation semble peu favorable à accepter l’humour, et condamne les propos humoristiques qui dénigre les produits ou services d’une entreprise. Par exemple, sur la condamnation d’un film publicitaire humoristique : « Mais attendu qu’ayant relevé que le film litigieux présente le sucre sous la forme d’un personnage ridicule et donne du produit une image dévalorisante, l’arrêt retient, par motifs propres, qu’à travers cette image il est porté une appréciation péjorative sur le produit « sucre », qui ne saurait être excusée par la forme humoristique du film , et par motifs adoptés, que le message publicitaire contribue à la dégradation, dans l’esprit des consommateurs, de l’image du sucre qui se trouve de facto dénigré ; » (Cass. com., 30 janv. 2007, n°04-17.203).
Dans cette affaire la victime avait saisie le juge des référés pour demander l’arrêt de la diffusion de la publicité.
Les actions judiciaires contre le dénigrement
L’action destinée à sanctionner un dénigrement est une action en concurrence déloyale.
Il est de jurisprudence constante que l’action en concurrence déloyale est fondée sur les 1240 et 1241 du code civil (ancien 1382 et 1383 C. civil), (Cass. com., 27 mai 2015, n°14-50.042).
C’est une responsabilité civile extracontractuelle qui nécessite de démontrer 3 conditions nécessaires au succès de l’action ; à savoir, un fait générateur (la faute), le préjudice et lien de causalité.
En principe, compte tenu de la qualité des parties, le tribunal compétent est souvent le tribunal de commerce (art.L.721-3 C.com). Le tribunal judiciaire sera compétent si l’auteur des propos n’est pas commerçant ou si l’action est connexe à une action en contrefaçon (art. L. 331-1, L.521-3-1 ; L.615-19 ou L.716-3 CPI).
Au fond, l’action est souvent portée par une procédure à jour fixe au regard de l’urgence à intervenir. De plus, en vue de limiter le préjudice de la victime le plus rapidement possible, une action en référé peut également être engagée afin de faire cesser le trouble manifestement illicite.
L’action en concurrence déloyale relève de la prescription de droit commun de 5 ans.
Le cabinet vous assiste en cas de dénigrement et vous conseille sur la meilleure stratégie judiciaire à mener.