Dans le cadre des acquisitions d’entreprises, la clause de earn-out constitue un mécanisme contractuel permettant d’ajuster le prix de cession en fonction des performances futures de la société cédée. Ce dispositif vise à réduire les incertitudes économiques et à réconcilier les intérêts parfois divergents du cédant et du cessionnaire.
Cet article propose une analyse approfondie du earn-out, tant du point de vue de sa structuration contractuelle que des difficultés pratiques et jurisprudentielles qu’il peut soulever.
Définition
La clause de earn-out est une disposition insérée dans un contrat de cession de titres permettant d’ajuster le prix de cession en fonction de résultats futurs. Elle consiste à prévoir un prix initial fixé à la signature du contrat, complété par un paiement additionnel conditionné par la réalisation de certains objectifs financiers ou opérationnels.
Ce dispositif est fréquemment utilisé lorsque :
- L’évaluation de la société est incertaine en raison d’une croissance rapide ou de perspectives de développement incertaines.
- Le cédant souhaite maximiser le prix de vente tout en acceptant un paiement différé.
- L’acquéreur veut réduire son risque en conditionnant une partie du prix à des performances mesurables.
Structure contractuelle de la clause
Critères de performance
La clause d’earn-out repose sur des critères de performance définis avec précision dans le contrat. Ces critères déterminent si le complément de prix sera versé et dans quelle mesure. Il est essentiel qu’ils soient objectifs, mesurables et vérifiables afin d’éviter tout litige.
Les critères de performance peuvent être classés en plusieurs catégories :
Critères financiers :
- Chiffre d’affaires réalisé sur une période donnée.
- EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) permettant d’évaluer la rentabilité opérationnelle.
- Résultat net après impôts, pour refléter la performance économique globale de l’entreprise.
Critères opérationnels :
- Nombre de nouveaux clients ou d’abonnés acquis.
- Expansion sur de nouveaux marchés ou territoires.
- Nombre de contrats conclus avec des partenaires stratégiques.
Critères spécifiques au secteur :
- ARPU (revenu moyen par utilisateur) pour les entreprises technologiques et SaaS.
- Nombre de souscriptions pour un service en ligne.
- Obtention d’une autorisation réglementaire (ex. mise sur le marché d’un médicament dans l’industrie pharmaceutique).
Critères liés à des événements déterminants :
- Réalisation d’un projet spécifique avant une date convenue.
- Succès d’une levée de fonds ou atteinte d’un objectif de financement externe.
Le choix des critères doit répondre aux exigences suivantes :
Objectivité : Les critères doivent être quantifiables et vérifiables (éviter toute appréciation subjective).
Transparence : La méthode de calcul doit être clairement définie dans le contrat.
Vérification : Un mécanisme d’audit ou d’évaluation indépendante peut être prévu pour éviter tout conflit sur les résultats.
L’utilisation d’exemples concrets annexés au contrat et la désignation d’un expert indépendant en cas de litige peuvent grandement sécuriser l’application de l’earn-out. Dans tous les cas, le choix des critères doit être objectivable et vérifiable afin d’éviter toute contestation ultérieure.
Détermination du calcul et modalités de paiement
La mise en place d’une clause d’earn-out repose sur une méthode de calcul rigoureuse et un calendrier de paiement défini dès la rédaction du contrat. L’objectif est de garantir une évaluation objective et incontestable des performances de la société cible.
Définition de la méthode de calcul
La méthode de calcul doit être clairement définie pour éviter toute ambiguïté. Elle repose généralement sur des critères financiers et comptables précis :
- Utilisation des normes comptables : Définir si l’évaluation sera réalisée selon les normes IFRS, GAAP ou d’autres référentiels propres à l’entreprise.
- Formules de calcul explicites : Intégrer des formules détaillées pour chaque critère retenu afin d’éviter toute interprétation litigieuse.
- Exclusion des éléments exceptionnels : Préciser les événements extraordinaires qui ne seront pas pris en compte (ex. restructurations majeures, ventes d’actifs imprévues).
Calendrier et modalités de paiement
Le paiement du complément de prix suit généralement un échéancier qui peut être structuré de différentes manières :
- Paiement en une seule fois après la période de référence définie.
- Paiements échelonnés selon des tranches annuelles ou semestrielles.
- Paiement conditionné à des paliers de performance définis à l’avance.
Mécanismes de sécurisation
Pour limiter les risques de contentieux, plusieurs mesures peuvent être mises en place :
- Désignation d’un tiers expert : Nommer un auditeur indépendant pour valider les résultats avant le versement du earn-out.
- Droit d’audit pour le cédant : Permettre un contrôle des comptes de la cible par un expert mandaté par le vendeur.
- Garanties bancaires ou séquestre : Assurer le paiement des compléments de prix via des dispositifs sécurisés.
Le contrat doit définir avec précision la méthode de calcul du earn-out (formules précises, référence aux normes comptables utilisées etc…) ainsi que la période de mesure (généralement de 1 à 3 ans). Il est aussi nécessaire de prévoir une clause de neutralisation comptable, pour que les charges liées à l’intégration de la société cible dans le groupe acquéreur ne biaisent pas les performances.
Dans tous les cas, la précision des modalités de calcul et de paiement est essentielle pour éviter toute contestation entre les parties et garantir une exécution conforme du contrat.
Encadrement des actions du cessionnaire
Une difficulté récurrente dans les contentieux relatifs aux earn-out réside dans la capacité du cessionnaire à influencer les résultats financiers de la société pour réduire le montant du paiement additionnel. Pour éviter toute manipulation artificielle, il est recommandé de :
- Mentionner un engagement contractuel imposant à l’acquéreur d’assurer que la société soit gérée sans intention de réduire artificiellement l’earn-out.
- Mettre en place des restrictions sur certaines décisions stratégiques pouvant impacter directement les performances (ex. interdiction de fusionner la société cible avec une autre entité du groupe avant la fin de la période d’earn-out).
- Un recours à un expert indépendant en cas de désaccord sur la mesure des performances.
Ces stipulations restent très théoriques et n’empêcheront pas un conflit en cas de mauvaise foi de l’acquéreur.
Difficultés juridiques et contentieux
Les clauses d’earn-out doivent être rédigées avec précision pour éviter tout risque juridique et assurer leur validité. Plusieurs problématiques peuvent être soulevées :
Tout d’abord, il est à rappeler que la clause doit être structuré de manière équilibrée. En effet, un earn-out déséquilibrée en faveur du cédant ou de l’acquéreur pourrait être requalifié comme abusif, entraînant des risques de nullité.
Puis, il conviendra également de veiller au risque de potestativité. En effet, un earn-out pourra être annulé si l’acquéreur contrôle les conditions déclenchant son paiement, cela le rend incertain et dépendant de la seule volonté d’une partie.
Enfin, vérifier l’exact détermination du prix. Si les critères de calcul ou les conditions de paiement sont trop flous, la clause peut être considérée comme nulle.
En outre, l’application d’un earn-out dans le temps peut également soulever des difficultés liées à l’intégration de la société cible, aux synergies attendues ou aux évolutions du marché. L’anticipation de ces enjeux par des clauses contractuelles adaptées est essentielle pour limiter les contentieux.
Interprétation des critères et conflits d’intérêts
Les contentieux en matière de earn-out portent souvent sur l’interprétation des critères de calcul et sur la loyauté des parties dans la mise en œuvre de la clause. Les juridictions appliquent généralement une analyse stricte du contrat, en s’appuyant sur les principes de bonne foi contractuelle (article 1104 du Code civil). Pour prévenir ces litiges, il est recommandé de préciser les définitions comptables et les méthodes de calcul dans des annexes contractuelles détaillées.
Influence de la gestion du cessionnaire
Certains cessionnaires peuvent être tentés de modifier la stratégie de l’entreprise (fusion, désengagement de certaines activités, réduction des investissements) afin de réduire le earn-out. Pour éviter ces abus, il peut être pertinent d’insérer des clauses d’interdiction de modification substantielle des activités de la société pendant la période de référence. Il est également recommandé d’intégrer des engagements relatifs à la gestion de la société cible pendant l’earn-out, pouvant inclure des restrictions sur les coûts d’intégration, les transferts d’actifs ou les changements de politique comptable.
Articulation avec la garantie de passif
Un même événement peut avoir un double impact sur l’earn-out et la garantie de passif. Par exemple, un redressement fiscal peut affecter à la fois la performance de la société (réduisant l’earn-out) et déclencher une mise en jeu de la garantie de passif. Il est donc essentiel de prévoir une clause de non-cumul des indemnités pour éviter la « double peine » pour le cédant.
Facteurs externes et renégociation du contrat
Des éléments extérieurs, tels que des évolutions réglementaires ou économiques, peuvent impacter l’earn-out. Depuis la réforme du droit des contrats de 2016, l’imprévision permet à une partie de demander la renégociation d’un contrat en cas de changement imprévisible rendant son exécution excessivement onéreuse. Toutefois, les parties peuvent exclure cette possibilité dans leur contrat afin d’assurer une stabilité juridique.
Conclusion
La clause de earn-out est un outil de flexibilité très utile en matière de cession d’entreprises, permettant de concilier les attentes du cédant et du cessionnaire. Toutefois, elle doit faire l’objet d’une rédaction précise et d’une anticipation des risques juridiques afin d’éviter tout contentieux ultérieur. Un accompagnement par un avocat spécialisé est donc indispensable pour garantir la sécurité juridique de ce mécanisme.