Le carve-out est une opération juridique et financière qui consiste à détacher une partie des activités ou des actifs d’une entreprise pour les gérer séparément ou les céder à un tiers. Cette technique est souvent utilisée dans les restructurations d’entreprise, les stratégies de désinvestissement, ou encore lors de la cession d’une branche d’activité dans le cadre d’une fusion-acquisition.
En droit français et international, le carve-out soulève des enjeux complexes en matière de droit des sociétés, de fiscalité, de droit du travail et de régulation concurrentielle.
Définition du carve-out
Le terme carve-out désigne le processus par lequel une entreprise isole une activité, une division ou une filiale, soit en vue de la vendre, soit pour l’exploiter de manière indépendante. Cette opération peut prendre plusieurs formes juridiques :
- Carve-out avec cession : L’entité détachée est vendue à un tiers, souvent dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition.
- Carve-out sans cession : L’activité est séparée juridiquement mais reste sous contrôle de l’entreprise mère (ex. création d’une filiale autonome).
- Carve-out boursier (IPO carve-out) : Une partie des actions de la nouvelle entité est introduite en bourse, permettant à l’entreprise mère de lever des fonds tout en conservant un contrôle partiel.
Différences avec d’autres opérations juridiques proches
- Carve-out vs Spin-off : Un spin-off implique généralement la création d’une entité autonome dont les actions sont distribuées aux actionnaires de la société mère, alors que le carve-out peut inclure une cession à un tiers.
- Carve-out vs scission : Une scission (article L. 236-18 et suivants du Code de commerce) entraîne la transmission du patrimoine à plusieurs sociétés nouvelles, tandis que le carve-out est souvent une transfert partiel d’actifs ou d’activités.
- Carve-out vs cession d’actifs : Une cession d’actifs concerne un simple transfert de biens, alors que le carve-out peut inclure des contrats, des salariés et des relations commerciales.
Régime juridique
La mise en œuvre d’un carve-out repose sur plusieurs techniques juridiques, qui varient en fonction de l’objectif stratégique poursuivi et du mode de séparation choisi.
Sur l’apport partiel d’actif
L’apport partiel d’actif est utilisé lorsque l’entreprise souhaite transférer une branche d’activité à une filiale existante ou à une entité nouvellement créée. Il est soumis au régime des scissions et fusions, notamment encadré par l’article L. 236-22 du Code de commerce. Cette technique est privilégiée lorsqu’une société mère veut structurer ou filialiser une activité avant une cession ou une entrée en bourse. L’apport partiel d’actif peut être assorti d’une transmission universelle de patrimoine si l’apport concerne l’ensemble des actifs et passifs liés à l’activité séparée.
La cession d’entreprise ou de fonds de commerce.
Lorsque le carve-out vise à détacher une activité pour la céder à un tiers, il relève des dispositions du Code de commerce sur la cession de fonds de commerce (articles L. 141-1 et suivants).
- L’acheteur doit respecter les obligations liées à la cession, notamment la publicité légale et la déclaration aux créanciers.
- En présence de salariés, les obligations issues du droit du travail, comme l’information-consultation des représentants du personnel ou le transfert des contrats en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, doivent être respectées.
- Dans le cadre d’une cession d’entreprise (parts sociales et actions), des garanties d’actif et de passif (GAP) sont souvent mises en place pour protéger l’acquéreur contre des passifs latents.
Le transfert de contrats et de passifs : une opération nécessitant des ajustements contractuels
Lorsque le carve-out implique des contrats en cours, le transfert de ces engagements peut être soumis à diverses formalités et restrictions :
- Certains contrats comportent des clauses d’intuitu personae (exemple : contrats de fourniture, de franchise, ou accords commerciaux stratégiques), nécessitant l’accord du cocontractant.
- Les créanciers peuvent exiger des garanties de paiement ou s’opposer au transfert des dettes.
- Dans les opérations complexes, des accords tripartites peuvent être signés pour assurer la continuité des engagements entre l’ancienne et la nouvelle entité.
Impact du choix du mode de séparation sur les obligations légales
En fonction du modèle retenu (APA, cession de fonds ou d’entreprise, transferts de contrats) les obligations légales diffèrent (mise en conformité avec le régime des fusions, approbation par l’assemblée générale, formalités de publicité etc…).
Le cadre juridique du carve-out est étroitement lié à la nature de l’opération envisagée, chaque technique nécessitant une analyse préalable approfondie pour sécuriser la transition et garantir la réussite de la restructuration.
Il est à notrer que l’opération aura des conséquences sur les relations contractuelles. Le carve-out entraîne des modifications importantes :
- Contrats en cours : La cession de contrats peut être soumise à l’accord des cocontractants, notamment pour les contrats à exécution successive (baux commerciaux, licences, accords-cadres).
- Clauses de changement de contrôle : Certains contrats incluent des clauses imposant une autorisation préalable en cas de modification de l’actionnariat ou de l’organisation juridique.
- Obligations des créanciers : Le transfert de dettes peut nécessiter des négociations avec les banques et les fournisseurs.
Enjeux fiscaux et sociaux du Carve-Out
Le traitement fiscal du carve-out dépend de sa structuration :
- Apport partiel d’actif : Peut bénéficier du régime de faveur des fusions (article 210 A du Code général des impôts), permettant le report d’imposition des plus-values latentes.
- Cession d’actifs : Entraîne une imposition immédiate des plus-values sur les éléments transférés (article 38 du CGI).
- Carve-out boursier : Les plus-values peuvent être imposées selon le régime des cessions de valeurs mobilières (article 150-0 A du CGI).
Les incidences fiscales doivent être anticipées pour optimiser l’opération et éviter un impact négatif sur la trésorerie de l’entreprise.
Conséquences sociales et obligations en matière de droit du travail
Le carve-out peut entraîner des transferts de contrats de travail, soumis aux règles du droit du travail :
- Article L. 1224-1 du Code du travail : En cas de transfert d’une entité économique autonome, les contrats de travail sont repris automatiquement par la nouvelle structure.
- Consultation du CSE : En cas de modification de l’organisation de l’entreprise, une information-consultation du comité social et économique est obligatoire (article L. 2312-8 du Code du travail).
- Maintien des avantages sociaux : Les salariés doivent conserver leurs droits acquis (ancienneté, rémunération, régimes sociaux).
Le non-respect de ces obligations peut entraîner des litiges prud’homaux et des sanctions financières.
Risques juridiques et contentieux
Le carve-out peut être contesté par des parties prenantes :
- Action en nullité d’une cession de contrat effectuée sans l’accord du cocontractant.
- Réclamation de créanciers si les garanties associées aux dettes transférées ne sont pas respectées.
- Conflits entre actionnaires sur la valorisation de l’activité détachée.
En outre, le carve-out peut entraîner une concentration sur un marché donné. Selon le règlement CE 139/2004, certaines opérations doivent être notifiées à l’Autorité de la Concurrence ou à la Commission Européenne en cas d’impact significatif sur le marché.
L’absence de notification peut conduire à des sanctions financières, voire à l’annulation de l’opération.
Enfin, l’administration fiscale peut requalifier un carve-out en abus de droit fiscal (article L. 64 du Livre des procédures fiscales) si elle estime que l’opération vise uniquement à échapper à l’impôt.
Exemple : Un carve-out structuré pour éviter l’imposition des plus-values sur une cession peut être requalifié et donner lieu à un redressement fiscal.
Conclusion
Le carve-out est une opération stratégique permettant aux entreprises de recentrer leur activité ou de céder des actifs tout en optimisant leur structure juridique et fiscale.
Toutefois, sa mise en œuvre requiert une expertise juridique approfondie pour anticiper les implications en matière de droit des sociétés, de fiscalité, de droit du travail et de concurrence.
Une préparation minutieuse, incluant la négociation des contrats, la consultation des instances représentatives du personnel et la prise en compte des risques fiscaux et contentieux, est indispensable pour sécuriser un carve-out et en maximiser les bénéfices.