Par principe, le contrat de location conclu en vue de l’exploitation d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale, relève du statut des baux commerciaux. Toutefois, les parties, peuvent d’un commun accord, décider de déroger à ce statut rigoureux et contraignant. C’est ce que l’on appelle le bail dérogatoire en ce qu’il déroge aux règles normalement applicables aux baux commerciaux. Aussi connu sous l’appellation de bail précaire ou bail de courte durée, le bail dérogatoire est généralement utilisé comme une période d’essai. Le régime applicable au bail dérogatoire est prévu par l’article L.145-5 du code de commerce.
Les conditions de validité des baux dérogatoires
La validité du bail dérogatoire est subordonnée au respect de conditions de fond et de formes.
Les conditions de fond
Deux conditions de fond doivent être réunies pour qu’un bail librement conclu par les parties puisse déroger au statut impératif du bail commercial :
- Tout d’abord, la première condition est relative à la durée du bail. En effet, l’article L.145-5 du code de commerce prévoit que : « Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans». La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 a allongé la durée maximale d’un bail dérogatoire de 2 ans à 3 ans. Les parties ne sauraient donc conclure un bail précaire de plus trois ans. Cette durée inclut également tous les éventuels renouvellements successifs. En effet, le bail dérogatoire est renouvelable, néanmoins la durée cumulée de tous les baux successifs ne doit pas excéder trois ans.
- Deuxièmement, la conclusion du bail dérogatoire doit être effectuée lors de l’entrée dans les lieux du preneur. En effet, l’article L.145-5 du code de commerce prévoit que : « Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre […]». Autrement dit, il n’est pas possible de conclure un bail dérogatoire sur des locaux qui ont déjà fait l’objet d’un premier bail. Toutefois certaines exceptions ont été admises pas la jurisprudence. Par exemple, lors de l’occupation antérieure des locaux en vertu d’un titre expiré (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2 mars 2017, 15-28.068).
Les conditions de forme
La conclusion d’un bail dérogatoire est laissée à la libre appréciation des parties. En effet, aucun formalisme particulier n’est imposé quant à la formation d’un tel bail.
Toutefois, le bail doit expressément faire ressortir la volonté de chacune des parties de renoncer à l’application du statut du bail commercial et notamment au droit au renouvellement ainsi qu’à l’indemnité d’éviction. Autrement dit, le choix du bail dérogatoire par les parties doit être expresse. Il est de jurisprudence constante que la seule détermination d’une durée inférieure à trois ans ne suffit pas à caractériser l’intention de conclure un bail dérogatoire. (Cour de Cassation, Cham. Civ. 3, du 2 février 2005, 03-19.541).
Enfin, il doit être procéder à un état des lieux à l’entrée lors de la prise de possession des locaux par le preneur ainsi que lors de leur restitution. Cet état des lieux doit être contradictoirement effectué par les parties et annexé au contrat. Cette obligation est prévue par l’article L.145-5 mais ne prévoit aucune sanction en cas d’omission.
Les conséquences du régime dérogatoire
Comme nous l’avons déjà relevé, le preneur ne saurait bénéficier des prérogatives du bail commercial (droit au renouvellement, droit au paiement d’une indemnité d’éviction, propriété commerciale). Le bail précaire déroge donc à ce statut et relève du droit commun du bail (art. 1714 et suivants du C. civ). Seules les dispositions de droits commun et celles prévues contractuellement doivent être prises en compte. Dès lors, les modalités d’application de la clause résolutoire prévue par l’article L.145-41 du code de commerce, ne peuvent donc être invoquées par le preneur pour faire obstacle à la résiliation (CA Versailles, 29 nov. 2011, n°10/09025).
De même, conformément à l’article R.211-4 et R.221-38 du COJ, le tribunal judiciaire n’a pas compétence exclusive. Ainsi, une clause de compétence devant le tribunal de commerce devrait être autorisée, si les conditions de l’article L.721-3 du code de commerce sont réunies.
La requalification du bail dérogatoire
En cours de bail : Si les conditions du bail dérogatoire ne sont pas remplies, la convention de bail pourra être requalifier en bail commercial. L’action en requalification du contrat en bail commercial est soumise à la prescription biennale de l’article L.145-60 du code de commerce.
A la fin du bail : Par principe, le bail précaire prend fin à l’expiration du délai prévu contractuellement. Toutefois, conformément à l’article L.145-2 al. 2 et 3 « Si, à l’expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre ». (Cass. civ. 8 juin 2017, n° 16-24.045).
Dès lors, si à l’échéance, le locataire continue toujours de jouir des locaux sans que le bailleur ne le somme de quitter les lieux, le bail dérogatoire est alors converti en bail commercial et soumis aux dispositions du statut des baux commerciaux. Le bailleur doit donc manifester sa volonté de ne pas laisser le preneur en possession des lieux par l’envoi d’un congé et d’une sommation de quitter les lieux. Un arrêt récent vient rappeler que le bailleur doit manifester sa volonté de ne pas laisser le locataire dans les lieux loués par la délivrance d’un congé (Cass. civ., 12 déc. 2019, n°18-23.784).
Enfin, l’alinéa 3 prévoit également que : « Il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d’un nouveau bail pour le même local ». Si les parties conclu un nouveau bail, ou en cas de renouvellement expresse, il y aura donc création d’un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux. Les parties ne peuvent donc pas immédiatement conclure un nouveau bail dérogatoire portant sur les mêmes locaux dans lequel est exploité le même fonds de commerce (Cass. civ., 22 oct. 2020, n°19-20.443).
Distinction bail dérogatoire et convention d’occupation précaire
Le bail dérogatoire ne doit pas être confondu avec la convention d’occupation précaire.
La convention d’occupation précaire est prévue par l’article L.145-5-1 du code de commerce. C’est une convention qui autorise l’occupation des locaux jusqu’à ce qu’un événement, indépendant de la seule volonté des parties, se réalise.
L’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme est marqué par une cause autre que la seule volonté des parties (Cass. civ. 19 nov. 2003, n° 02-15.887). Ce type de contrat n’est pas pas soumis aux statuts des baux commerciaux et relève de l’article 1709 et suivants du code civil.