Arrêt Cour de cassation 4 novembre 2021 Pourvoi n° 21-14.023.
L’article 145 du code de procédure civile n’exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée.
Une société se plaignait de la production et de la fabrication de modèles de pergolas par deux autres sociétés, en violation d’un protocole d’accord.
La société plaignante avait obtenu deux requêtes sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile permettant diverses mesures, et notamment la saisie de documents et copies au sein des deux sociétés.
Les deux sociétés ont contesté ces mesures en saisissant la juridiction pour faire rétracter les deux ordonnances autorisant les mesures in futurum.
La Cour d’appel approuva les deux sociétés, en considérant que la société plaignante ne justifiait pas de motif légitime pour réaliser ces mesures. La cour d’appel considérait que les pièces sollicitées ne permettaient pas de trancher le point de savoir si les pergolas étaient entrées dans le champ contractuel du protocole d’accord. La cour d’appel considérait donc que la société plaignante n’avait pas de motif légitime.
La Cour de cassation rejette cette appréciation et casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 145 du CPC en considérant que :
« Pour rétracter les ordonnances sur requête et annuler les opérations et procès-verbaux de constat, l’arrêt retient que l’objet du litige au fond est de déterminer si la société Coublanc Stores a manqué à ses obligations contractuelles et si la société Agde Coublanc a engagé sa responsabilité délictuelle en participant à la violation d’obligations contractuelles par la société Coublanc Stores, ce qui suppose que les produits litigieux, à savoir les pergolas Vermont, soient entrées dans le champ contractuel, et relève ainsi de l’analyse juridique des relations contractuelles, que les pièces sollicitées ne permettent pas de trancher ce point et que dès lors, la société Alpha Concept ne justifie pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile.
En statuant ainsi, alors que l’article 145 du code de procédure civile n’exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Pour rappel, l’article 145 du CPC conditionne la possibilité de demander et d’obtenir une mesure d’instruction in futurum à l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
La jurisprudence considère que le motif légitime correspond à l’intérêt que peut avoir le demandeur à établir les faits nécessaires à la solution d’un litige (Cass. 1re civ., 11 juin 1991, no 90-13.773).
L’appréciation de l’existence ou non du motif légitime prévue par l’article 145 du CPC, relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 3e civ., 24 févr. 1999, no 97-15.931).
Il est constant que le motif légitime fait défaut lorsque l’action au fond est vouée à l’échec, par exemple du fait de la prescription (Cass. 3e civ., 7 févr. 2001, no 99-17.535, Cass. com., 2 juill. 2002, no 99-10.289)
Compte tenu de l’état actuel de la jurisprudence il n’est pas aisé d’apprécier dans quels cas le juge pourra considérer l’existence ou pas d’un motif légitime.
L’appréciation de ce motif légitime est délicate pour le juge puisqu’il doit accorder la mesure si le demandeur a un intérêt légitime sans pour autant vérifier le bien-fondé de l’action.
En effet, dans un arrêt de Cour de cassation du 4 novembre 2020, les juges avaient déjà considéré que :
« Pour décider que les sociétés Dyson n’établissaient pas l’existence d’un motif légitime et rétracter l’ordonnance, l’arrêt retient que les éléments présentés par ces sociétés dans leur requête relatifs aux codes de communication utilisés ne constituent pas des indices plausibles et suffisants d’un quelconque parasitisme et/ou agissement déloyal de la part de la société Babyliss et que les éléments invoqués au soutien du dénigrement allégué ne constituent pas plus un indice suffisant d’un comportement déloyal de la société concurrente Babyliss.
En statuant ainsi, en exigeant que soit établi au stade de la requête le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction était sollicitée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Dès lors, les juges doivent apprécier le motif légitime de la mesure mais ne peuvent pas exiger que soit établi le bien-fondé de l’action.
Comme l’illustre la présente décision rendue, les juges de la cour d’appel considéraient qu’il ne pouvait pas apprécier l’existence d’un motif légitime.
En effet, les éléments fournis ne permettaient pas de dire si la production et fabrication des pergolas litigieuses étaient rentrées dans le champ contractuel du protocole.
L’intérêt à agir du demandeur pouvait donc être remis en doute étant donné que la mesure sollicitée n’apportait pas de solution à un éventuel procès.
Toutefois, la Cour de cassation rejette cette position en estimant que l’article 145 du CPC n’exige pas que le demandeur établisse le bien-fondé de son action.
Pour rappel, l’intérêt légitime est une condition de la recevabilité de l’action qui ne doit pas se confondre avec le bien-fondé qui correspond au succès de l’action.
En l’espèce, les juges du fond ont considéré que le demandeur n’avait pas de motif légitime étant donné que les éléments fournis ne permettaient pas de savoir si les pergolas étaient prévues au protocole.
Or, ce raisonnement conduit à demander au requérant d’établir le bien-fondé de son action, ce que l’article 145 du CPC n’impose pas.
Il revient au juge d’apprécier ce qui relève des conditions nécessaires à la demande « in futurum » à savoir, un motif légitime, et de ne pas le confondre avec les chances de succès de l’action (le bien-fondé de l’action).