L’impôt sur les sociétés (IS), régi notamment par les articles 209 et 38 du Code général des impôts (CGI), repose sur une assiette définie à partir du résultat fiscal, lui-même fondé sur le résultat comptable retraité selon les règles fiscales. Parmi les composantes de ce résultat, la notion de produits imposables joue un rôle essentiel. Il s’agit de déterminer quelles recettes — issues de l’exploitation, des opérations financières ou exceptionnelles — doivent être intégrées à l’assiette de l’IS.
L’analyse de la notion de produits imposés à l’IS suppose donc d’articuler les règles comptables (plan comptable général), les règles fiscales (CGI et doctrine BOFiP), ainsi que la jurisprudence du Conseil d’État. Nous verrons que si le principe est celui de l’imposition des produits réalisés ou acquis, plusieurs tempéraments (étalements, exonérations, neutralisations) en modulent l’application.
I. Le principe d’imposition des produits au sens fiscal
A. Le lien entre résultat comptable et résultat fiscal
Conformément à l’article 38-2 du CGI, le bénéfice imposable est déterminé en tenant compte des produits acquis, et des charges engagées, selon le principe d’indépendance des exercices. Le résultat fiscal est donc calqué, sauf exception, sur le résultat comptable établi selon les règles du Plan comptable général (PCG), en vertu du principe de connexion comptable-fiscale (CE, 20 octobre 2010, n° 317075).
Ainsi, tout produit comptabilisé au cours de l’exercice est, par principe, imposable, sauf dispositions contraires expresses.
B. Les grandes catégories de produits imposables
Les produits imposés à l’IS se répartissent en trois grandes catégories :
Produits d’exploitation : ventes, prestations de services, subventions d’exploitation, redevances de licence, produits accessoires (ex. : commissions, loyers).
Produits financiers : intérêts, dividendes perçus (avec les régimes spécifiques afférents), escomptes financiers, gains de change.
Produits exceptionnels : produits de cession d’actifs, subventions d’investissement, indemnités d’assurance, reprises de provisions.
Chaque catégorie obéit à des règles spécifiques, notamment en matière de rattachement à l’exercice et de régimes d’étalement ou d’exonération.
II. Les règles de rattachement des produits à l’exercice
A. Principe de l’acquisition du produit
L’article 38-2 bis du CGI dispose que les produits doivent être rattachés à l’exercice au cours duquel ils ont été acquis. Ce principe d’acquisition s’entend comme le moment où l’entreprise a un droit certain à encaisser le produit, indépendamment de la date de paiement.
Exemples :
- Une vente comptabilisée au 30 décembre 2024, même réglée en février 2025, est imposable au titre de l’exercice 2024.
- Une indemnité d’assurance fixée par un protocole d’accord signé avant clôture est également rattachée à l’exercice concerné (CE, 12 novembre 1986, n° 47929).
B. Exceptions : les cas d’étalement
Certaines catégories de produits peuvent faire l’objet d’un étalement fiscal, malgré leur comptabilisation immédiate :
- Subventions d’investissement : étalement possible sur la durée d’amortissement des biens financés (CGI, art. 42 septies).
- Indemnités d’assurance (sinistre, perte d’exploitation) : étalement possible sur 3 ou 5 ans selon la nature (CGI, art. 38 quater).
- Plus-values de cession : dispositifs d’étalement ou de sursis d’imposition sous conditions (articles 39 duodecies à 39 quindecies du CGI).
III. Produits soumis à des régimes spécifiques ou à neutralisation
Bien que le principe général impose l’intégration dans le résultat fiscal de l’ensemble des produits réalisés ou acquis au cours d’un exercice, le législateur a instauré plusieurs régimes dérogatoires ou mécanismes de neutralisation partielle. Ces dispositifs visent notamment à encourager la détention durable de titres, sécuriser certaines restructurations, ou limiter les effets de la double imposition économique.
A. Le régime mère-fille : une exonération partielle des produits de participation
L’un des dispositifs les plus emblématiques est celui du régime mère-fille, prévu aux articles 145 et 216 du CGI. Il permet, sous certaines conditions, à une société mère soumise à l’IS d’exonérer de son résultat imposable les dividendes qu’elle perçoit d’une filiale.
Pour bénéficier de cette exonération, la société mère doit :
- détenir au moins 5 % du capital de la filiale ;
- conserver ses titres pendant une durée minimale de deux ans ;
- percevoir des produits issus de titres de participation.
Le bénéfice du régime s’accompagne d’une réintégration forfaitaire de 5 % des produits encaissés, censée couvrir les frais liés à la gestion des participations. Ce taux est toutefois réduit à 1 % dans le cadre d’une intégration fiscale (art. 223 A du CGI), ou lorsque les titres ne génèrent que peu ou pas de frais.
Ce régime fait également l’objet d’un contrôle renforcé depuis l’introduction de la clause anti-abus prévue à l’article 205 A du CGI, applicable aux structures artificielles ou montages dépourvus de substance économique.
B. Le traitement des produits de filiales européennes non intégrées
Un autre régime avantageux concerne les sociétés françaises recevant des revenus de participations dans des filiales situées dans l’Union européenne ou dans un État conventionné.
Lorsque ces filiales, bien que non intégrées fiscalement, seraient éligibles à une intégration si elles étaient françaises, leurs distributions bénéficient d’une quasi-exonération :
- Seuls 1 % des dividendes sont imposables,
- Les 99 % restants sont exonérés.
Ce dispositif vise à neutraliser la double imposition intra-groupe au sein de l’espace européen.
C. Les produits attachés aux parts ou actions d’OPC
Les revenus générés par les organismes de placement collectif (OPCVM, FCP, SICAV, etc.) sont soumis à un régime particulier.
Plutôt que d’attendre la distribution, le CGI impose les entreprises sur la variation de la valeur liquidative, notamment pour les fonds à dominante obligataire ou monétaire.
Ce régime vise à neutraliser les arbitrages fondés sur le report de distribution, et garantit une taxation minimale des gains latents issus des placements collectifs.
D. Les abandons de créances et soutiens financiers intragroupe
Lorsqu’une société bénéficie d’un abandon de créance consenti par un créancier lié (notamment sa société mère), ce produit est en principe imposable.
Cependant, l’article 216 A du CGI prévoit une exonération si l’abandon de créance a pour objet de soutenir une filiale en difficulté.
Conditions d’application :
- Engagement de recapitalisation,
- Situation déficitaire du débiteur,
- Cohérence avec la stratégie de restructuration du groupe.
E. Cas particuliers : augmentations de capital libérées par compensation
Dans les procédures collectives, lorsqu’une société procède à une augmentation de capital par compensation de créances, le profit résultant peut être exclu du résultat fiscal.
Condition : l’opération doit être réalisée en l’absence de lien de dépendance entre les parties (article 209, VII bis du CGI).
Ce mécanisme vise à encourager les restructurations sans créer de surcoût fiscal pour les sociétés en difficulté.
IV. Appréciations jurisprudentielles et doctrine fiscale
A. L’approche du Conseil d’État
Le Conseil d’État contrôle régulièrement la correcte application du principe d’acquisition des produits et les modalités d’étalement fiscal.
Exemples jurisprudentiels :
- CE, 20 octobre 2010, Sté GDF Suez : réintégration refusée pour un produit non encore “certain” à la clôture de l’exercice = non-imposition.
- CE, 6 avril 2016, n° 374044 : un produit sans commencement d’exécution ne peut être rattaché à l’exercice.
B. La doctrine administrative (BOFiP)
Le BOFiP (BOI-BIC-BASE-20 à -60) précise avec rigueur les conditions de rattachement, d’imposabilité, d’exonération et d’étalement. Il faut en particulier veiller à :
- la distinction entre subvention d’exploitation et d’investissement ;
- les règles propres aux produits financiers (intérêts, produits dérivés) ;
- les régimes dérogatoires (JEI, entreprises en ZFU, etc.).
Conclusion
La notion de produits imposés à l’IS est au cœur du calcul du résultat fiscal. Si le principe général impose les produits acquis, les nombreuses dérogations, exceptions, régimes spéciaux et jurisprudences rendent la matière complexe et technique. La vigilance est de mise tant pour le rattachement temporel que pour l’identification de la nature du produit. Une bonne maîtrise des règles comptables et fiscales, ainsi qu’une veille sur les évolutions jurisprudentielles et doctrinales, est indispensable pour sécuriser la base imposable.