Le monopole bancaire consiste à réserver aux seuls établissements de crédit le droit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel. La question qui se pose est la suivante : un contrat de prêt octroyé par une entreprise n’appartenant pas au secteur bancaire est-il valide ?
C´est une question à laquelle a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 15 juin 2022 (Com. 15 juin 2022, F-B, n° 20-22.160). Les hauts magistrats ont été amenés à prendre position sur le sort du contrat de prêt conclu en violation de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier. Sans surprise, la Cour de cassation est venue confirmer la jurisprudence constante.
Sur les faits et la relation contractuelle
Une entreprise de distribution de lubrifiants avait conclu en 2012 un contrat avec un fournisseur. Aux termes de la convention, le distributeur s’engageait à acheter à son fournisseur une quantité déterminée de produits pendant 5 ans. Le fournisseur, quant à lui, octroyait en contrepartie une remise de 50 %, calculée sur son chiffre d’affaires, ainsi qu’une « avance sur remises » de 30 000 euros, amortissable en 5 ans.
Le distributeur a néanmoins été placé en liquidation judiciaire. Le fournisseur a alors assigné les cautions en paiement de la somme restant due au titre de l’avance sur remises.
La Cour d’appel de Paris fut appelée à se prononcer sur cette avance sur remise de 30 000 € et la considéra comme une opération de crédit contrevenant à l’interdiction de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier.
Selon la Cour d´Appel, puisque le fournisseur de lubrifiants octroyait habituellement ce type d´avance sur remise aux distributeurs, elle violait le monopole bancaire. Conséquence directe : le crédit de 30 000 € fut annulé par la Cour d´appel.
Mécontent, le fournisseur forma un pourvoi en Cassation en contestant l’annulation. Selon lui, il n’y avait pas de crédit au sens du code monétaire et financier.
Il estimait que le monopole réservé aux établissements de crédit d’effectuer des opérations bancaires de manière habituelle n´empêchait pas son entreprise d’octroyer aux distributeurs des avances et remises de paiement en contrepartie de l’exclusivité habituellement demandée à ces derniers. Il estimait que le monopole bancaire n´a pour conséquence la nullité des contrats conclus en violation de cette seule règle.
S’agit-il d’une opération de crédit ?
La première question à résoudre était de savoir si la remise de 30 000 € était une opération de crédit. La Cour de cassation a rejoint la position des magistrats de la cour d’appel. En effet, le contrat litigieux avait été intitulé « avance lubrifiants montant du prêt ». Les deux juridictions ont estimé que cela indiquait la volonté des parties.
De plus, ce prêt était accompagné d’un « taux d’intérêt élevé » et le contrat faisait référence au taux effectif global « mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ».
La violation du monopole bancaire n’entraîne pas la nullité du crédit
Une fois le contrat qualifié de prêt, la Cour de cassation a dû se prononcer sur la validité du contrat compte tenu de la violation du monopole bancaire. La Cour de cassation a rappelé que l’article L. 511-5 du code monétaire et financier interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel.
Toutefois, elle considère qu’une opération de crédit octroyée en violation de cette interdiction n’est pas de nature à être annulée. Pour le dire autrement, la seule méconnaissance du monopole bancaire ne suffit pas à annuler le contrat.
Nous pourrions critiquer la position prise par la Cour de cassation. En effet, la violation d’une disposition d’ordre public devrait entrainer l’annulation du contrat. Pour rappel, la cause d’un contrat doit être licite. De plus, il est important de rappeler que l’on ne peut, par conventions particulières, déroger aux lois qui intéressent l’ordre public (art. 6 code civil).
Or, le fait de s’engager à une obligation qui viendrait contrevenir à une disposition d’ordre public pourrait entrainer la nullité du contrat. Dès lors, conformément au droit des contrats la solution rendue pourrait être contestée.
D’ailleurs, cette question n’est pas nouvelle et certaines décisions, un peu ancienne, ont déjà annulé un crédit souscrit en violation du monopole bancaire.
En effet, il existait une divergence de solution entre la 1er chambre civile (Cass. 1er civ 24.fev 1993 n°91-16.225) et la 1er chambre commerciale (Cass 1er com. 19 novembre 1991 nº 90-10.270). Toutefois, cette divergence a été réglé par un arrêt de l’assemblée plénière du 4 mars 2005 qui mis fin au débat.
« la seule méconnaissance par un établissement de crédit de l’exigence d’agrément, au respect de laquelle l’article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier, subordonne l’exercice de son activité, n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il a conclus ». (Ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11.725, M. Hubert Van Haare Heijmeijer).
Cette solution a ensuite été confirmée à de nombreuses reprises (Cass. com., 3 juillet 2007, n° 06-17.963 – Cass. 1er civ., 16 janv. 2013, n°05-12.081.)
Ainsi, les magistrats de la Cour de Cassation se sont appuyés sur cette jurisprudence. Dès lors, la solution de la Cour de cassation est constante : pas de nullité pour la seule violation du monopole bancaire consacré par l’article L. 511-5 du code monétaire et financier.